Au troisième étage du bâtiment Copernic, Caroline Trotot me reçoit dans son bureau, où les piles de livres s’entassent sur les tables, sur les étagères, et dans les moindres recoins de la pièce. La vue sur la ville nouvelle de Champs-sur-Marne contraste avec les livres de la Renaissance qui tapissent les murs. C’est dans ce décor que l’entretien commence.
Quel a été votre parcours scolaire et universitaire ?
Après un bac littéraire, une hypokhâgne et plusieurs khâgnes, j’ai été admissible au concours de l’Ecole Normale Supérieure de la rue d’Ulm mais pas admise. J’ai eu l’agrégation de Lettres Modernes et j’ai enseigné dans le secondaire pendant longtemps (pendant plus de10 ans), ce qui me permettait d’être indépendante. En même temps que j’enseignais, j’ai fait un DEA puis une thèse sur « la poétique de la métaphore dans la poésie de la Pléiade ». J’ai soutenu ma thèse en 2001 et j’ai été recrutée ici d’abord sur un poste de PRAG (professeur agrégé détaché dans le supérieur) donc pas un poste de recherche. Ce n’est qu’ensuite que j’ai été élue sur un poste d’enseignante-chercheuse comme maîtresse de conférences ici.
Quel est votre meilleur souvenir lors de vos études ?
Ce sont les souvenirs du partage avec des amis, des camarades pendant des cours qui nous passionnaient, du partage intellectuel avec des gens qui ont les mêmes passions. Ce sont des moments où l’on a beaucoup appris et réfléchi à haut niveau. Pour moi, c’était un monde qui s’ouvrait. J’ai toujours aimé apprendre. Apprendre à faire une explication de texte, par exemple en hypokhâgne ou apprendre à traduire du grec ancien.
Quel est votre domaine d’étude, votre spécialité ? Qu’est-ce qui vous passionne dans ces derniers ?
Je travaille sur la littérature française de la Renaissance et ce qui me passionne, c’est le rapport avec les savoirs, la manière dont la littérature s’écrit avec des savoirs et en produit.

Comment en êtes-vous venue à parler des femmes ?
J’ai pris conscience de la distorsion entre ce que j’avais lu, la place des femmes dans cette culture, et l’absence des femmes dans les corpus que j’enseignais. C’est aussi le mouvement de la société qui m’a portée vers cela et mon évolution personnelle. J’ai pris conscience de l’absence des femmes puis de leur invisibilisation et je me suis interrogée sur la raison de ce phénomène.
Puis quand j’ai fait un compte-rendu des mémoires de Charlotte d’Arbaleste, j’ai découvert ce texte et j’ai pris beaucoup d’intérêt à approfondir les rapports entretenus entre la littérature et l’histoire, qui me passionnaient depuis les classes préparatoires. Les mémorialistes m’intéressaient donc beaucoup. Et comme peu de choses étaient faites sur les mémorialistes femmes, le champ offrait de la liberté. Quand la bibliographie est énorme on passe son temps à lire les autres, et comme je consacre beaucoup de temps aux responsabilités collectives dans l’Université, je manque de temps. Je me suis donc intéressée aux femmes dans la construction des savoirs.

Comment arrive-t-on à ce partenariat avec Philippe Gambette?
L‘interdisciplinarité m’a toujours intéressée. On a commencé à travailler ensemble dans des recherches de fouilles textuelles. De plus, Philippe Gambette a d’abord mené des recherches sur la visualisation, et moi sur la métaphore, qui est une figure de représentation visuelle. On a réfléchi d’abord sur la métaphore et lors de nos échanges, on s’est rendu compte qu’on avait un intérêt commun pour travailler sur des textes de femmes. C’est de cette manière que l’on a glissé vers l’étude de la visibilisation et l’invisibilisation des femmes.
L’interdisciplinarité oblige à expliciter la démarche que l’on met en œuvre, car on parle à quelqu’un qui ne partage pas les implicites. Cela oblige à clarifier ses explications et les rend plus précises.
Qu’est-ce que cela a changé dans vos méthodes de travail ?
Ce que ça a changé dans ma façon de travailler, c’est que j’ai dû travailler en mode agile. Les informaticiens ont une première version puis ils ont un retour utilisateur qui leur permet de changer ce qui ne va pas alors qu’en littérature on reste dans son cabinet de travail jusqu’à ce que ce soit achevé, puis on relit, on critique et on publie quand on pense que c’est vraiment parfait. Cette interdisciplinarité me permet de diversifier mon approche des questions traitées et de développer la pédagogie de projet.

Qu’est-ce qui vous pousse à continuer dans la recherche ?
Je pense que ma motivation principale c’est que j’aime m’instruire; chercher permet d’apprendre continuellement et de construire des savoirs pour les autres. Par ailleurs, le travail d’équipe me plaît beaucoup.
Qu’est-ce qui vous plaît dans le fait d’enseigner à l’université ?
Je trouve qu’enseigner à un public motivé et très agréable, qui a envie d’apprendre est une grande chance. On a l’impression d’être utile. C’est moins ingrat que dans le secondaire. C’est un âge plus facile que celui des années collège-lycée et nos étudiants et étudiantes ont choisi cette voie. Et puis le lien entre enseignement et recherche assure de la cohérence dans nos vies professionnelles comme dans nos contenus d’enseignement.
J’ai une liberté que je n’aurais pas dans le secondaire. Les programmes sont décidés à l’échelle de la formation. On réfléchit entre nous sur les modalités d’enseignements.
Si vous aviez un conseil à donner à vos étudiants et à vos étudiantes, quel serait-il ?
Travailler ! Lisez ! Réfléchissez ! Soyez curieux et curieuses, en ne perdant pas de vue qu’il faut beaucoup travailler. Il faut avoir beaucoup lu pour savoir lire. Il faut se cultiver et relire plusieurs fois les oeuvres littéraires.
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Crédits:
Bannière du carnet Cité des Dames, créatrices dans la cité: https://citedesdames.hypotheses.org/
OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
swaniejuret (2 décembre 2023). Caroline Trotot, l’entretien. Master Littérature, Savoirs et Culture numérique. Consulté le 28 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/r38h
Une réflexion sur « Caroline Trotot, l’entretien »