Les Miasmes de la Déliquescence

Ah ! Les Déliquescences d’Adoré Floupette, quelle sinistre symphonie d’une âme en décomposition ! Un livre-maladie, un miroir aux alouettes où se reflètent les abîmes de la décadence. Floupette, ce poète maudit, nous entraîne dans les méandres d’un Paris nocturne et malsain, où la lumière crève les yeux et où les odeurs nauséabondes imprègnent nos vêtements. Dans ces pages, la beauté se meurt, rongée par la maladie et le vice. Les vers, languides et mélodieux, évoquent des paysages intérieurs dévastés, peuplés de fantômes et de souvenirs douloureux. Chaque strophe est une plaie ouverte, une suppuration de l’âme. Floupette, avec une cruauté jubilatoire, dissèque les affres de l’existence, les amours désespérées, les angoisses métaphysiques. Il nous plonge dans un univers où la mort est une amie intime, où le spleen est roi. Les Déliquescences, c’est l’apothéose du mal-être, une invitation au voyage au cœur des ténèbres. Un livre qui ne laisse pas indifférent, qui trouble et fascine à la fois. Car, au-delà de la noirceur, il y a une beauté perverse, une poésie du désespoir qui parle à notre âme la plus secrète.

Gabolinator, Coeur ouvert, DeviantArt, 15 février 2009.

[…] L’Horizon s’envole,
Rose, Orange et Vert,
Comme un cœur ouvert
Qu’un relent désole.
[…]
Vous avez le flou
Des choses fanées,
Âmes très vannées,
Allant Dieu sait où !
Comme sur la grève,
Le vent des remords,
Passe, en vos yeux morts,
Une fleur de rêve !

Adoré Floupette, Les Déliquescences, « Les Énervés de Jumièges », 1885, p. 53.

Yoschino, deliquescence 2, DeviantArt, 5 février 2009.

La chair de la Femme, argile Extatique,

Nos doigts polluants la vont-ils toucher ?
Non, non, le Désir n’ose effaroucher
La Vierge Dormante au fond du Triptyque.
La chair de la Femme est comme un Cantique
Qui s’enroule autour d’un divin clocher,
C’est comme un bouton de fleur de pêcher
Éclos au Jardin de la nuit Mystique.
(Adoré Floupette, Les Déliquescences, « Platonisme », 1885, p. 56.)
 
Floupette, avec une maîtrise digne des plus grands symbolistes, nous offre ici un tableau énigmatique où la femme est à la fois objet de désir et symbole de pureté, aujourd’hui saccagée. La femme, à la fois argile et cire, une chimère, une créature mi-terrestre, mi-céleste, qui fascine et repousse à la fois.

Ce poème est une ode à la beauté morbide, à cette fascination pour le mal qui caractérise la fin du siècle. La fleur de pêcher, éclose dans la nuit mystique, est l’image parfaite de cette beauté éphémère, vouée à se faner. Floupette, avec ce vers, nous plonge dans les abysses de l’âme, où le désir et la mort se mêlent dans une étreinte fatale.

Michael DeForge, https://www.michael-deforge.com/, [pas de date].

Mon cœur est un Corylopsis du Japon. Rose

Et pailleté d’or fauve, — à l’instar des serpents,
Sa rancœur détergeant un relent de Chlorose,
Fait, dans l’Éther baveux, bramer les Ægypans.

Adoré Floupette, Les Déliquescences, « Pour avoir péché », 1885, p.70.

Le poète, avec une lucidité cruelle, dissèque son propre cœur, le transformant en un jardin malade, où la rancœur fleurit à profusion. Le Corylopsis du Japon, cette plante aux fleurs délicates et jaunes, mais pas aussi jolie que les fleurs de serres excentriques, devient ici le symbole d’une beauté trompeuse, qui cache une réalité bien plus sombre.

La comparaison entre la rancœur et un détergent est particulièrement frappante. Ce n’est plus seulement un sentiment, mais une force corrosive qui nettoie le cœur de toute trace de tendresse. Les Ægypans, créatures mythologiques, divinités antiques analogues aux satyres, ajoutent une dimension onirique à ce tableau, évoquant un monde intérieur peuplé de fantômes, voire de cadavres.

Ce poème est une ode à la mélancolie, à cette fascination pour la souffrance qui caractérise la fin du siècle. Le poète, comme un alchimiste, transforme ses propres tourments en or poétique. Ce quatrain est une merveille de noirceur et de beauté, qui nous laisse un goût amer, un sentiment de désolation pur et intrinsèque.

Michael DeForge, Stunt, Koyama Press, 2019.

Les Déliquescences d’Adoré Floupette sont une plongée vertigineuse dans les tréfonds de l’âme humaine, un miroir grossissant qui nous renvoie l’image défigurée d’une société en décomposition, qui nous empêche d’évoluer.

Sous couvert d’une parodie savoureuse, ces poèmes révèlent une angoisse profonde, une quête désespérée d’un sens à une existence vouée à la corruption. Le lecteur est à la fois repoussé et fasciné par cette esthétique du laid, par cette célébration du néant. Les Déliquescences sont un cri de révolte contre un monde aseptisé, une invitation à plonger dans les ténèbres pour y chercher une lueur d’espoir, aussi ténue soit-elle.

 


OpenEdition vous propose de citer ce billet de la manière suivante :
ldaniel (26 décembre 2024). Les Miasmes de la Déliquescence. Master Littérature, Savoirs et Culture numérique. Consulté le 22 mars 2025 à l’adresse https://doi.org/10.58079/12zur


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